Peu à peu s’est forgée fin 19e et début du 20e siècle la connaissance de la matière, formée de corpuscules, les atomes, eux-mêmes composés d’un noyau et d’électrons qui gravitent autour de ce noyau. Une grande question se posait cependant concernant la lumière. Était-elle aussi corpusculaire, ou était-elle une onde?
Diffraction
Avant d’aller plus loin, il nous faut d’abord rappeler les phénomènes de diffraction et d’interférences, qu’on observe facilement à la surface d’un plan d’eau.
La diffraction est le phénomène qu’on observe quand des ondes rencontrent un obstacle muni d’une ouverture, comme on le voit ci-dessus à gauche.
Si on a maintenant non plus une mais deux ouvertures, les deux ensemble d’ondes diffractées vont se télescoper, ici en s’annulant, là en s’ajoutant, d’où un schéma typique de zones sombres et claires.
La fameuse expérience de Thomas Young
En 1801, le physicien Young réalisa une expérience restée célèbre en envoyant un faisceau de lumière sur un écran, à travers une paroi percée de deux fentes parallèles. Il n’obtenait pas sur l’écran deux traces lumineuses correspondant à des corpuscules de lumière passés par les deux fentes, mais deux faisceaux diffractés qui créaient sur l’écran des franges sombres et claires. Dès lors, comme on l’a vu plus haut, seul un caractère ondulatoire de la lumière pouvait expliquer l’expérience.
Mais un siècle plus tard, en 1905, Einstein donna son explication sur un autre effet, l’effet photoélectrique : un faisceau lumineux projeté sur une plaque métallique crée un courant électrique dont les caractéristiques ne s’expliquent que par le caractère corpusculaire de la lumière, composée de particules, les photons (voir le billet précédent).
Deux expériences fondamentales donc qui montrent que la lumière a un caractère soit ondulatoire soit corpusculaire. Au lieu d’opposer ces deux caractères, naît alors le concept révolutionnaire de dualité onde-particule. C’est l’un et l’autre à la fois…
Au fil des décennies, on a réalisé l’expérience de Young de multiple fois, avec d’autres particules comme des électrons, neutrons, atomes, molécules, avec lesquels on a observé les mêmes raies d’interférence. Celles-ci montrent que la matière présente comme la lumière un comportement ondulatoire.
Tout est donc onde-particule, la lumière comme la matière, les atomes de notre corps, ce qui nous est très difficile à concevoir.
On peut approcher cette dualité avec l’image ci-contre ; on y voit un objet qui a les propriétés à la fois d’un rectangle et d’un cercle… Cet objet existe bien, c’est un cylindre. Suivant la façon dont on l’observe, son image est différente.
L’expérience de Young dans tous ses états
Comment comprendre cette dualité en profondeur ? Des générations de physiciens se sont livrés à de multiples variantes de l’expérience de Young.
Par exemple en faisant en sorte que la source n’émette qu’une particule à la fois. On sait maintenant émettre des photons ou des électrons un par un. Ceux-ci sont bien détectés un par un sur l’écran placé après les fentes. Commençons par une seule fente. On voit bien se dessiner sur l’écran la forme de cette fente. Normal.
Mais ouvrons la 2e fente, et envoyons les électrons à travers l’une ou l’autre. On observe alors que les impacts forment petit à petit la figure d’interférences ! Les trajectoires de ces particules devraient nous donner deux formes représentant les deux fentes. Mais non, même une par une, les particules suivent le concept de dualité. On ne sait pas interpréter simplement ces observations.
Sauf à imaginer que les particules sont des sortes d’ondes, qu’elles passent donc par les deux fentes à la fois, en interférant avec elles-mêmes ? Et que leurs collisions sur l’écran n’induisent un caractère corpusculaire, leurs traces dépendant de la façon aléatoire dont l’onde impacte cet écran ?
Nouvelle expérience, cette fois-ci on va installer sur l’une des fentes un détecteur de particule. A chaque envoi de particule, on saura alors par quelle fente il est passé ! Mais là tout se complique, car alors la figure d’interférence disparaît purement et simplement, pour laisser la place aux deux formes des fentes seules. Tout se passe comme si le détecteur révélait le corpuscule immédiatement.
Dans mon carnet…
De Broglie proposait que les deux aspects onde et corpuscule coexistent, et visualisait ce corpuscule comme une petite région de grande énergie au sein de l’onde (1). A l’inverse, Bohr remarquait que les expériences font apparaître tantôt un aspect tantôt l’autre mais pas les deux simultanément.
Après avoir lu beaucoup d’interprétations sur ce sujet, c’est cette image de De Broglie qui m’a permis le mieux de construire une image mentale, certainement très approximative. Mais c’est ce que j’ai de mieux en carnet.
Une particule serait un petit nuage intense, une petite zone de l’onde qui se déplace. Elle a donc des caractéristiques ondulatoires ; mais lorsqu’elle rencontre un écran, ou dès qu’on interfère avec elle pour l’observer, elle rentre en collision avec d’autres « nuages » d’ondes, et réduit son petit nuage à une trace aléatoire sur l’écran ou à une information électrique aléatoire mesurable.
Voilà, mais tout cela ne me dit pas de quoi est constituée l’onde…
On verra cela un peu plus loin, dans Physique quantique 4.
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(1) Interview de Georges Lochak (1930-2021), proche collaborateur de Louis de Broglie, réalisé en 1987.