Physique quantique

Physique quantique 5
Intrication, mieux que la science-fiction!

Le New York Times du 4 mai 1935 sort une manchette restée célèbre : « Einstein attaque la théorie quantique ». Du lourd !

La physique quantique née au début du siècle a beaucoup progressé. Niels Bohr, l’un de ses fondateurs, affirme que les caractéristiques des particules sont essentiellement probabilistes, n’existent pas intrinsèquement, ne sont pas prédéterminées, et ne se constituent que lors des mesures. Par exemple avant toute mesure la position d’un électron gravitant autour d’un noyau atomique, à un instant donné, n’est pas déterminée ; à chaque position possible autour du noyau correspond une probabilité différente.

Prenons l’exemple de la polarisation de la lumière.

Le filtre polariseur

Un polariseur est composé de cristaux alignés dans une feuille de plastique. En passant à travers le filtre, la lumière composée d’ondes électromagnétiques dans toutes les orientations se polarise, seules les ondes dans la direction fixée par le filtre vont passer. Si on fait maintenant passer cette lumière polarisée dans un 2e filtre dont l’orientation est perpendiculaire au premier filtre, plus rien ne passe.

Et si ce 2e filtre n’est pas perpendiculaire au premier, mais forme avec lui un angle, une partie de la lumière seulement passera, en fonction de l’angle. Après le 1er filtre on a des photons polarisés, dont certain passeront le 2e filtre (on dira qu’ils sont + ), les autres étant bloqués ( – ). La physique quantique permet de calculer la probabilité qu’un photon passe le premier puis le second filtre, et elle affirme que ces caractéristiques ne sont pas prédéterminées.

L’expérience EPR

Einstein refuse cette vision probabiliste. Il considère que l’impossibilité de prédire les résultats des mesures est la preuve que la théorie quantique est incomplète. Pour lui, le monde a une réalité physique indépendante de nos observations, qui ne font que la révéler. Et pour enfoncer le clou, il imagine avec Podolsky et Rosen une expérience de pensée restée célèbre, l’expérience EPR, censée démontrer cette incomplétude.

On peut fabriquer une paire de photons dits « intriqués », aujourd’hui on fait cela couramment dans les laboratoires. Ces deux photons vont s’éloigner l’un de l’autre rapidement, à la vitesse de la lumière, mais leurs caractéristiques restent corrélées. Par exemple leur polarisation est la même, bien qu’elle ne soit pas encore mesurée et donc déterminée au sens de la physique quantique.

Si on mesure cette polarisation sur l’un des photons, on trouve aléatoirement (+) par exemple. Immédiatement l’autre photon intriqué fera apparaître aussi son (+). Pourtant les deux photons peuvent être très éloignés l’un de l’autre, ce qui pose la question de l’échange d’information instantané entre les particules. Au sens d’Einstein, cet échange ne peut pas aller plus vite que la vitesse de la lumière, donnée fondamentale de l’univers, ce qui est impossible. Par conséquent, la seule solution est que la caractéristique révélée existait bien en étant cachée.

Qui avait raison, la question restait fondamentalement ouverte, faute d’expérience possible. Einstein et Bohr moururent sans que la question n’avance. Mais en 1964, John Bell, physicien irlandais, apporta une contribution fondamentale, en inventant la possibilité de tester la question par expérience.

Les inégalités de Bell

Si on fait passer un photon à travers 2 filtres polarisants successifs faisant un angle θ entre eux, John Bell démontre en 1964 que les diverses probabilités de passage ou blocage du photon, en fonction de l’angle θ, doivent respecter des inégalités formelles si la vision d’Einstein (il existe des variables cachées) est vraie.

Dès lors, en en faisant l’expérience, on verra bien si les résultats sont conformes à ces inégalités. Dans le cas contraire, il sera démontré qu’il ne peut pas exister de variables cachées.

Les expériences

Il fallut près de 20 ans pour mettre au point des expériences non contestables, celles du physicien Alain Aspect à l’Institut d’Optique d’Orsay entre 1980 et 1982.

Alain Aspect met au point un magnifique  dispositif capable de créer des paires de photons intriqués polarisés, de les faire passer chacun à travers un filtre polarisant, les 2 filtres formant un angle θ aléatoire.  Les résultats statistiques obtenus, après plusieurs milliers de mesures, sont incontestables : ils violent les inégalités de Bell et sont parfaitement conformes aux calculs de la physique quantique. Fin du débat !

Non-localité

Fin du débat, mais bouleversement fondamental de la pensée physique… Car s’il n’y a pas de variables cachées, et si les deux photons intriqués ne peuvent pas communiquer (ils s’éloignent l’un de l’autre à la vitesse de la lumière, ce qui d’après Einstein rend impossible toute communication elle-même limitée par cette vitesse), ça veut dire que les deux particules intriquées ne forment qu’un seul ensemble, même séparées par des distances gigantesques… On dit qu’il y a non-localité, à l’opposé de toute la physique classique connue.

Et là, j’ai l’impression de parler science-fiction, d’entrer dans un univers aux propriétés étonnantes! D’ailleurs certains y verront l’amorce de la possibilité de téléportation…

Les dernières expériences

En 2017, la Chine a mené l’expérience Quess (Quantum Experiments at Space Scale, Expériences quantiques à l’échelle spatiale), avec le satellite Mozi.

Ce satellite comporte un équipement capable de créer des paires de photons intriqués, et de les envoyer séparément chacun vers une ville différente. L’expérience a bien montré qu’il y avait non-localité, quand bien même les  deux villes étaient distantes d’environ 1.200 km, en l’occurrence Delingha et Lijiang.

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